lundi 16 janvier 2012

...bois




"Aux petites filles on apprend que Dieu existe
et qu'il a la couleur de leurs yeux.
Alors elles le croient.
Alors elles attendent.
En attendant,
pour passer le temps de vivre,
par impatience ou pour faire comme leur mère,
elles se marient.
Dès ce jour Dieu s'en va.
Il déserte la maison,
comme un qui ne trouve plus le repas ou le silence à son goût.
Il s'en va pour toujours.
Il laisse en s'éloignant l'attente qu'elles ont de lui.
C'est une attente immense.
C'est une attente à quoi personne ne sait répondre.
On touche à la démence.
Dans l'attente amoureuse des jeunes femmes,
dans cette passion purifiée par l'absence,
on touche à quelque chose comme la folie.
Aucun homme ne s'aventure dans ces terres désolées de l'amour.
Aucun homme ne sait répondre à la parole silencieuse.
Les hommes retiennent toujours quelque chose auprès d'eux.
Jusque dans les ruines,
ils maintiennent une certitude
- comme l'enfant garde une bille dans le fond de ses poches.
Quand ils attendent,
c'est quelque chose de précis qu'ils attendent.
Quand ils perdent,
c'est une seule chose qu'ils perdent.
Les femmes espèrent tout,
et puisque tout n'est pas possible
elles le perdent en une seule fois -
comme une manière de jouir de l'amour dans son manque.
Elles continuent d'attendre ce qu'elles ne croient plus.
C'est plus fort qu'elles.
C'est bien plus fort que toute pensée.
C'est dans cette nuit qu'apparaissent les enfants..." 
 
                                 Christian Bobin - La part manquante
 
 
 
 
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8 commentaires:

  1. Cette part, ce nœud est bien présent!
    J'aime bien ce travail autour de la flamme, du charbon de bois, de la cendre, du feu et de ces conséquences!

    DAvid

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  2. Salut David.
    Dire que c'est un travail est peut-etre présomptueux.Mais,il est évident que touteexploration commence par une immersion.et que j'ai aimé et aime observer le boissous divers angle, aspect, moment de son existence,laissant ensuite l'imagination ou la reflexion prendre le relais.

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  3. Le double sens du texte, la suggestivité de l'image, le texte de Bobin sur la féminité... cette association est d'une extrême subtilité.
    Magnifique!

    Franck

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    1. Je suis touchée que cela te touche franck...ce rapprochement fut une évidence et je suis heureuse de ne pas etre seule à le sentir.

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  4. Un sein, une larme, un noeud, des veines, une peau satinée et fragile....femme....

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  5. Pour moi rien que le texte: une claque
    Merci
    Emmanuel

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    1. alors Manu,tu aimes Bobin et je suis heureuse qu'il te touche autant que moi!

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